Rejet des demandes formées par un producteur contre les tiers exploitant les nouveaux enregistrements d'un artiste ayant unilatéralement résilié son contrat d'enregistrement exclusif ( Tcom Paris, 2 octobre 2024, n°2022056357)

Le producteur phonographique dont le contrat d'enregistrement a été résilié unilatéralement par l'artiste est débouté de ses demandes formées contre les producteurs et distributeur des nouveaux enregistrements de l'artiste faute d'avoir fait établir le caractère fautif d'une telle résiliation par les juridictions prud'homales.

1. Les faits

Une artiste interprète avait conclu avec un producteur phonographique un contrat d'enregistrement exclusif, ayant la nature d'un contrat de travail, portant sur trois albums.

Après la sortie du premier album et d'une réédition de celui-ci, l'artiste a résilié unilatéralement le contrat d'enregistrement par lettre en reprochant au producteur des manquements qu'elle considérait comme constitutifs de fautes graves[^1]. Le producteur contestait les fautes alléguées et estimait que l'artiste était toujours liée par le contrat d'enregistrement.

Suite à cette résiliation unilatérale, l'artiste a conclu un contrat (a priori un nouveau contrat d'enregistrement) avec deux sociétés productrices, ces dernières ayant confié à un tiers la distribution des nouveaux enregistrements de l'artiste. Deux single et un album de l'artistes sont sortis dans ce cadre.

Après avoir saisi sans succès la commission de conciliation du SNEP, le premier producteur a fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris les deux nouveaux producteurs et le distributeur notamment afin qu'il leur soit fait interdiction d'exploiter les nouveaux enregistrements de l'artiste.

Le premier producteur soutenait que le contrat d'enregistrement qu'il avait conclu avec l'artiste était toujours en vigueur dans la mesure où cette dernière aurait selon lui dû faire valider sa rupture unilatérale par le conseil de prud'hommes.

Les nouveaux producteurs rétorquaient que c'était au premier producteur de contester cette rupture devant le conseil de prud'hommes.

2. Problématique juridique

En cas de rupture unilatérale d'un contrat d'enregistrement exclusif par un artiste interprète, le producteur phonographique peut-il agir contre les tiers exploitant les nouveaux enregistrements de l'artiste sans avoir au préalable fait établir le caractère fautif de la rupture par les juridictions prud'homales ?

3. Réponse du tribunal de commerce

Après avoir observé que l'envoi par l'artiste au premier producteur d'une lettre de résiliation unilatérale du contrat d'enregistrement était avéré et que l'effet d'une telle lettre était immédiat, le tribunal relève :

  • que les demandes formées par le premier producteur à l'encontre des nouveaux producteurs et du distributeur reposent exclusivement sur le contrat d'enregistrement qui l'unissait à l'artiste et que cette dernière a unilatéralement résilié ;
  • qu'il n'est pas compétent pour se prononcer sur la validité de cette rupture unilatérale par l'artiste, cette question ressortant de la compétence exclusive du conseil de prud'hommes ;
  • qu'il n'y a pas de jugement du conseil de prud'hommes à ce sujet.

Le tribunal considère que le premier producteur n'apporte donc pas la preuve que la rupture unilatérale du contrat d'enregistrement par l'artiste "est invalide et que le contrat est toujours en vigueur en totalité ou partiellement".

Il déboute par conséquent le premier producteur de ses demandes contre les producteurs et le distributeur des nouveaux enregistrements de l'artiste.

Cette décision du tribunal de commerce incite le producteur phonographique dont le contrat d'enregistrement serait résilié unilatéralement par l'artiste à la prudence.

Dans une telle situation, le producteur doit s'interroger sur l'opportunité de saisir la juridiction prud'homale sans attendre la sortie de nouveaux enregistrements de l'artiste exploités par des tiers.

Cette question se pose d'autant plus qu'un producteur attentiste risquerait de se heurter aux délais de prescription applicables en matière prud'homale.