Les droits voisins, désignés comme tels car étant voisins du droit d'auteur, sont des droits attribués à certaines personnes se situant entre la création d'un auteur et le public, aux "auxiliaires de la création littéraire et artistique"[1].
Les droits voisins se distinguent donc du droit d'auteur et le code de la propriété intellectuelle établit une sorte de hiérarchie entre ces deux types de droits. L'article L. 211-1 du CPI précise ainsi que "les droits voisins ne portent pas atteinte aux droits des auteurs. En conséquence, aucune disposition du présent titre [titre dédié aux droits voisins] ne doit être interprétée de manière à limiter l'exercice du droit d'auteur par ses titulaires".
Dans le domaine musical, deux types de titulaires de droits voisins interviennent. D'une part les artistes-interprètes[2] et d'autre part les producteurs de phonogrammes[3].
Le CPI fixe les règles en matière de droits voisins pour chaque catégorie de titulaires de droits voisins, notamment les artistes-interprètes (1) et les producteurs de phonogrammes (2), et pose également des règles communes à ces différentes catégories concernant les limites (3), les exceptions (4) et la durée (5) des droits voisins.
1. Les droits voisins des artistes-interprètes
Comme les auteurs, les artistes-interprètes[4] disposent d'une part de droits de nature patrimoniale (1.1) et de droits de nature morale (1.2).
1.1 Les droits patrimoniaux de l'artiste-interprète
Les droits patrimoniaux de l'artiste-interprète sont exposés à l'article L. 212-3 du CPI qui précise :
"Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image."
Le droit patrimonial de l'artiste-interprète correspond donc à son droit d'autoriser d'une part la fixation de sa prestation, c'est à dire son enregistrement, et d'autre part sa communication au public, notamment sous forme de reproduction.
L'enregistrement de la prestation de l'artiste-interprète est le fait générateur du droit voisin[5] dans la mesure où c'est l'enregistrement qui permet la fixation puis la communication au public. Sans enregistrement, pas de droit voison donc.
Un tiers, notamment un producteur de phonogramme, qui souhaiterait enregistrer la prestation d'un musicien ou d'un chanteur et/ou communiquer au public cet enregistrement, devra donc obtenir l'autorisation de l'artiste-interprète.
Il faut préciser qu'une autorisation de l'artiste-interprète est nécessaire pour chaque mode d'exploitation (vente de CDs, diffusion sur une plateforme de streaming, etc.). L'autorisation doit aussi préciser le territoire et la durée pour lesquels elle est accordée. Ces précisions pourront en pratiques figurer dans le contrat de travail de l'artiste-interprète[6].
La notion de "communication au public" utilisée par l'article L. 212-3 du CPI correspond, comme pour le droit d'auteur, aux actes de représentation et de reproduction[7].
Une particularité importante du statut des artistes-interprètes tient au fait qu'ils sont en principe considérés comme des salariés.
Les artistes-interprètes auront le statut de salarié pour l'exécution de leur performance et toucheront à ce titre un salaire. Ainsi, le contrat conclu entre un producteur de phonogramme et un musicien pour que ce dernier joue en studio pour un enregistrement est un contrat de travail.
En revanche, les sommes perçues par les artistes-interprètes du fait de l'exploitation de l'enregistrement de leur interprétation ne correspondent pas à des salaires mais aux droits voisins qu'ils perçoivent.
La clé de répartition entre les rémunérations de l'artiste-interprète ayant la nature d'un salaire et celles ayant la nature de droits voisins est donnée par l'article L. 7121-8 du code du travail. Cet article prévoit que la rémunération perçue "n'est pas considérée comme salaire dès que la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter cet enregistrement et que cette rémunération n'est pas fonction du salaire reçu pour la production de son interprétation, exécution ou présentation, mais est fonction du produit de la vente ou de l'exploitation de cet enregistrement".
1.2. Le droit moral de l'artiste-interprète
C'est l'article L. 212-2 du CPI qui prévoit que "l'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation".
Ce droit au respect permet à l'artiste de s'opposer à une reproduction de son interprétation qui serait altérée. On pourrait par exemple imaginer qu'une chanteuse ou un chanteur s'oppose à l'utilisation sous forme de sample d'un extrait d'une de leurs interprétations dont la voix aurait été modifiée.
Il est ensuite précisé que le droit moral de l'auteur est inaliénable, imprescriptible et qu'il est attaché à la personne de l'artiste-interprète. Le droit moral ne peut donc pas être cédé à un tiers.
Le texte ne le précise pas mais le droit moral de l'artiste-interprète est aussi perpétuel, c'est à dire qu'à la différence des droits patrimoniaux de l'artiste, il ne s'éteint pas à l'issue d'une certaine durée (voir la section 5).
L'artiste-interprète a également un droit de paternité sur son interprétation.
En revanche, à la différence de l'auteur, le droit moral de l'artiste-interprète ne comporte donc pas de droit de divulgation de l'interprétation, ni de droit de retrait ou repentir[8].
Le droit moral est par ailleurs transmissible aux héritiers de l'artiste-interprète "pour la protection de l'interprétation et de la mémoire du défunt". Les héritiers seront donc en droit d'exercer le droit moral de l'artiste-interprète après le décès de ce dernier.
2. Les droits voisins des producteurs de phonogrammes
Le producteur de phonogramme est défini comme "la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence de son"[9].
Il s'agit concrètement de la personne qui procède à l'enregistrement et en assume les risques financiers, ce qui justifie qu'il bénéficie de droits voisins.
Le droit voisin du producteur de phonogramme tient au fait qu'il est nécessaire d'obtenir son autorisation "avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme".
La vente de disques ou la mise à disposition d'une musique sur une plateforme de streaming requièrent donc l'autorisation du producteur.
Le sampling - c'est à dire l'intégration d'un extrait d'un enregistrement dans un autre enregistrement - nécessite en principe également l'autorisation du producteur. Cependant, cette autorisation ne sera pas requise si l'extrait samplé est modifié et non reconnaissable à l'écoute, critère difficile à appliquer [10].
Enfin, à la différence des artiste-interprètes, les producteurs de phonogrammes ne disposent pas d'un droit moral.
3. Limite au principe de l'autorisation : la licence légale
Le droit voisin de l'artiste-interprète et du producteur de phonogramme requiert en principe l'autorisation de ces derniers pour l'utilisation de l'enregistrement.
Le CPI a toutefois mis en place une exception à la nécessité de cette autorisation : la licence légale.
Selon cette exception, prévue aux articles L. 214-1 et suivants du CPI, pour les phonogrammes publiés à des fins de commerce, l'artiste-interprète ou le producteur ne peuvent s'opposer à certaines utilisations. Il s'agit :
- De la communication du phonogramme dans un lieu public (diffusion dans un restaurant, un magasin, une galerie marchande, une discothèque, etc.).
- De sa diffusion en radio et webradio.
- De sa diffusion à la télévision.
En contrepartie de ces utilisations pour lesquelles leur autorisation n'est pas nécessaire, les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes bénéficient d'une rémunération qualifiée de rémunération équitable.
Cette rémunération équitable est payée par les utilisateurs bénéficiant de la licence légale, c'est à dire les restaurants, radios, webradios, chaînes de télévisions, discothèques, etc.
Elle est collectée par la Société pour la Perception de la Rémunération Equitable (SPRE) qui la redistribue à parts égales aux producteurs de phonogrammes et aux artistes-interprètes.
Le montant de la rémunération équitable que doivent payer les utilisateurs est fixée selon des barèmes de calcul établis pour les différents secteurs concernés (discothèques, bars et restaurants à ambiance musicale, chaînes de télévision, radios et webradios, lieux sonorisés). Ces barèmes sont consultables sur le site internet de la SPRE.
4. Les exceptions aux droits voisins
Comme pour le droit d'auteur, un certain nombre d'exceptions à l'exercice des droits voisins patrimoniaux sont prévues.
Ces exceptions, énoncées à l'article L. 211-3 du CPI, sont d'ailleurs relativement similaires à celles prévues par l'article L. 122-5 du CPI en matière de droit d'auteur.
En application de ces exceptions, les titulaires des droits voisins ne peuvent interdire l'exploitation de l'enregistrement sur lequel portent leurs droits dans certaines circonstances.
Sans être exhaustif, on peut citer certaines de ces exceptions qui peuvent trouver une application dans le domaine musical :
- Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille (art. L. 211-3 1° du CPI) : cette exception permet de diffuser l'enregistrement d'une oeuvre musicale dans le cadre de son cercle familial sans qu'il soit nécessaire pour cela d'obtenir une autorisation des titulaires de droits voisins attachés à cet enregistrement.
- Les reproductions réalisées pour usage privé de la personne qui les réalise à partir d'une source licite (art. L. 211-3 2° du CPI) : les titulaires de droits bénéficient, en contrepartie de cette exception, de la rémunération pour copie privée, correspondant à une part du prix payé lors de l'achat de matériel disposant d'une capacité de stockage permettant d'effectuer une copie (ex : clé usb, smartphone, etc.).
- la communication au public ou la reproduction d'extraits d'objets protégés par un droit voisin à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement et de la recherche (art. L. 211-3 3° du CPI).
- La parodie (art. L. 211-3 4° du CPI).
5. La durée des droits patrimoniaux
L'article L. 211-4 du CPI fixe le principe selon lequel la durée des droits patrimoniaux des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes est de cinquante ans. Cette durée court pour les artistes-interprètes à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de l'interprétation, et pour les producteurs de phonogrammes à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de la première fixation d'une séquence de son.
Il est cependant prévu une extension de cette durée lorsque qu'un phonogramme dans lequel l'interprétation a été fixée fait l'objet d'une mise à la disposition du public par des exemplaires matériels ou d'une communication au public.
Dans cette situation, les droits patrimoniaux de l'artiste-interprète et du producteur de phonogramme sont d'une durée de soixante-dix ans à compter du 1er janvier de l'année civile suivant la mise à la disposition du public de ce phonogramme ou, à défaut, sa première communication au public.
Ainsi, l'artiste-interprète dont la performance a fait l'objet d'un enregistrement communiqué au public via une plateforme de streaming disposera des droits patrimoniaux relatifs à cet enregistrement pendant soixante-dix ans, ce délai étant décompté à partir du 1er janvier suivant la communication sur la plateforme de streaming.
Il doit être noté, pour l'artiste-interprète dont l'interprétation est fixée sur un vidéogramme, que la durée de ses droits patrimoniaux reste de cinquante ans, le point de départ étant toutefois fixé, comme pour les fixations sur phonogrammes, au 1er janvier suivant la communication au public ou la mise à disposition du public sous forme d'exemplaires matériels.
S'agissant des droits patrimoniaux du producteur de phonogrammes, il faut préciser que l'artiste-interprète a le droit, au-delà d'une durée de 50 ans[11], de résilier le contrat qu'il a conclu avec lui afin de l'autoriser à exploiter l'enregistrement dans le cas où le producteur n'offre pas à la vente des exemplaires du phonogramme en quantité suffisante ou ne le met pas à la disposition du public de manière que chacun puisse y avoir accès de sa propre initiative[12]. L'artiste-interprète notifiera son intention de résilier au producteur et si dans les douze mois ce-dernier n'a pas remédié à la situation, l'artiste-interprète pourra effectivement exercer son droit de résiliation[13].
Enfin, le CPI prévoit que les titulaires de droits voisins qui ne sont pas ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne bénéficient de la durée de protection prévue dans le pays dont ils sont ressortissants sans que cette durée puisse excéder celle prévue par l'article L. 211-4 du CPI.
G. Cornu, "Vocabulaire juridique", PUF. ↩︎
L'article L. 212-1 définit l'artiste interprète ou exécutant comme "la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes". ↩︎
L'article L. 213-1 du CPI définit le producteur de phonogramme comme "la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence de son". ↩︎
L'article L. 212-1 du CPI définit l'artiste-interprète comme "la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes". ↩︎
N. Binctin, "Droit de la propriété intellectuelle", LGDJ, 6ème éd., 2020, n°221. ↩︎
Art. L. 212-11 du CPI. ↩︎
Voir à ce sujet l'article dédié au droits patrimoniaux de l'auteur (lien ↩︎
Art. L. 213-1 du CPI. ↩︎
CJUE, 29 juil. 2019, C-476/17, Pelham GmbH. ↩︎
C'est à dire dans les vingt dernières années de la durée des droits patrimoniaux du producteur de phonogrammes. ↩︎
Art. 212-3-5 du CPI. ↩︎
L'article L. 212-3-6 du CPI prévoit que lorsqu'un phonogramme contient la fixation des prestations de plusieurs artistes-interprètes, ceux-ci exercent le droit de résiliation d'un commun accord. En cas de désaccord, il appartient au juge civile de statuer. ↩︎