L'ordonnance du 12 mai 2021 [1] (l'Ordonnance) a transposé en droit français l'article 18 de la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins du 17 avril 2019[2] (la Directive) relatif à la rémunération des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants dans le cadre des contrats d'exploitation.
Jusqu'ici, le CPI ne contenait pas de disposition générale relative à la rémunération des artistes-interprètes, à la différence de la rémunération des auteurs qui faisait déjà l'objet de l'article L. 131-4 du CPI. Des dispositions spécifiques à certains domaines existaient cependant, notamment dans le domaine musical.
L'exposé du nouveau régime de rémunération des artistes-interprètes issu de l'ordonnance du 12 mai 2021 (2) suivra un rappel des règles déjà en place avant l'ordonnance dans le domaine musical (1).
1. Les règles relatives à la rémunération des artistes-interprètes dans le domaine musical antérieurement à l'ordonnance du 12 mai 2021
La loi dite Création du 7 juillet 2016[3] avait posé un certain nombre de règles spécifiques à la rémunération des artistes-interprètes dans le domaine musical :
- Le contrat conclu entre l'artiste-interprète et le producteur de phonogrammes doit fixer une rémunération minimale garantie en contrepartie de l'autorisation de fixation, rémunérée sous forme de salaire, de la prestation de l'artiste-interprète[4].
- Chaque mode d'exploitation du phonogramme incorporant la prestation de l'artiste-interprète prévu au contrat doit faire l'objet d'une rémunération distincte[5].
- La mise à disposition d'un phonogramme de manière que chacun puisse y avoir accès de sa propre initiative, dans le cadre des diffusions en flux (est ici visé le streaming), fait l'objet d'une garantie de rémunération minimale[6].
- Lorsque le contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur de phonogrammes prévoit le paiement direct par le producteur d'une rémunération qui est fonction des recettes de l'exploitation, le producteur rend compte semestriellement à l'artiste-interprète du calcul de sa rémunération, de façon explicite et transparente[7].
La loi Création n'avait toutefois pas imposé de principe de proportionnalité pour la rémunération des artistes-interprètes.
2. Le nouveau principe d'une rémuération appropriée et proportionnelle des artistes interprètes
2.1. L'énoncé d'un principe aplicable à l'ensemble des artistes-interprètes
Le nouveau texte issu de l'ordonnance est intégré au sein du II de l'article L. 212-3 du CPI selon lequel :
"La cession par l'artiste-interprète de ses droits sur sa prestation peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l'artiste-interprète une rémunération appropriée et proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle des droits cédés, compte tenu de la contribution de l'artiste-interprète à l'ensemble de l'œuvre et compte tenu de toutes les autres circonstances de l'espèce, telles que les pratiques de marché ou l'exploitation réelle de la prestation."
Cette disposition d'ordre public[8] intègre donc au profit des artistes-interpètes le principe général d'une rémunération appropriée et proportionnelle, conformément à l'article 18 de la Directive.
Ce nouveau principe est également rappelé au sein de l'article L. 212-14 IV du CPI, disposition spécifique à la rémunération des artistes-interprètes liée au streaming dans le domaine mucical[9].
2.2. La signification du principe de rémunération appropriée et proportionnelle de l'artiste-interprète
En posant le principe d'une rémunération propotionnelle de l'artiste-interprète, l'Ordonnance fait un lien direct avec la rémunération proportionnelle de l'auteur dont le principe est fixé à l'article L. 131-4 du CPI. Cette relation entre auteurs et artistes-interprêtes était d'ailleurs voulue par la Directive dont l'article 18 ne fait pas de distinction entre ces deux catégories.
Toutefois, la comparaison du nouvel article L. 212-3 II du CPI issu de l'Ordonnance avec l'article L. 131-4 du CPI met en lumière une différence non négligeables entre les deux régimes.
L'article L. 131-4 du CPI fixe le principe d'une rémunération de l'auteur "proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation".
En comparaison, l'article L. 212-3 II du CPI évoque une "rémunération appropriée et proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle des droits cédés, compte tenu de la contribution de l'artiste-interprète à l'ensemble de l'œuvre et compte tenu de toutes les autres circonstances de l'espèce, telles que les pratiques de marché ou l'exploitation réelle de la prestation".
Ainsi, le référenciel par rapport auquel la rémunération doit être proportionnelle n'est pas le même pour l'auteur et pour l'artiste-interprète. Le référentiel des "recettes provenant de la vente ou de l'exploitation" est incontestablement plus objectif et donc plus simple à déterminer que "la valeur économique réelle ou potentielle des droits cédés" par l'artiste-interprète.
Cette notion de "valeur économique réelle ou potentielle des droits cédés" n'est pas définie par la Directive ou l'Ordonnance. Pour autant, comme le relève un auteur, le fait que la rémunération ne soit pas directement corrélée aux fruits de l'exploitation des droits cédés, à la différence de la règle applicable aux auteurs, n'est pas nécessairement défavorable aux artistes-interrêtes[10].
Quoi qu'il en soit, il est probable que le flou entourant cette notion nouvelle de "valeur économique réelle ou potentielle" soit la source d'un certain nombre de contentieux futurs.
Quant à la notion de rémunération "appropriée", aucune définition n'est donnée dans l'Ordonnance ou dans la Directive. Il reviendra donc aux juridictions nationales et européennes de préciser les caractéristiques d'une telle rémunération appropriée de l'artiste-interprète.
2.3. La possibilité de recourir au forfait
A l'instar du régime de rémunération des auteurs, l'article L. 212-3 du CPI laisse la possibilité que la rémunération de l'artiste-interprète soit fixée forfaitairement dans un certain nombre de situations limitativement énumérées.
Ces situations permettant le recours à une rémunération forfaitaire sont les mêmes que celles prévues à l'article L. 131-4 du CPI pour la rémunération des auteurs.
2.4. La place centrale de la négociation collective
Après avoir posé le principe de la rémunération appropriée et proportionnelle, l'article L. 212-3 II ouvre expressément la voie de la négociation collective :
"Sous réserve des conventions collectives et accords spécifiques satisfaisant aux conditions prévues au présent article, les conventions et accords collectifs peuvent déterminer, en tenant compte des spécificités de chaque secteur, les conditions de mise en œuvre des dispositions du présent article."
Cette place donnée à la négociation collective pour régler la question de la rémunération des artistes-interprètes s'explique assez simplement par la volonté de protéger les artistes en position de faiblesse dans le cadre d'une négociation individuelle de leur rémunération.
Dans le domaine musical, l'article L. 212-14 II dans sa version issue de la loi Création de 2016 prévoyait déjà le recours obligatoire à la négociation collective. En application de cet article, un accord collectif devait être conclu entre les organisations représentatives des artistes-interprètes et les organisations représentatives des producteurs de phonogrammes afin de fixer les modalités d'une garantie de rémunération minimale des artistes-interprètes pour la diffusion de phonogrammes en streaming.
Le texte prévoyait que dans le cas où cet accords collectif n'était pas conclu dans un délai d'un an suivant la promulgation de la loi Création, une commission ad hoc présidée par un représentant de l'Etat fixerait la garantie de rémunération minimale. Malgré cette disposition, aucun accord n'a été conclu sur la garantie de rémunération minimale[11].
L'Ordonnnance a réinstauré un mécanisme similaire fondé sur le négociation collective pour fixer la garantie de rémunération minimale des artistes-interprètes relative au streaming.
Désormais, la négociation se fera également avec les organismes de gestion collective des artistes-interprètes (ADAMI, SPEDIDAM) et des producteurs de phonogrammes (SCPP, SPPF, SCPA).
Cet accord devra en principe intervenir avant le 13 mai 2022. Si tel n'est pas le cas, là encore l'article L. 212-14 III du CPI prévoit que le niveau et les modalités de la garantie minimale de rémunération seront fixées par une commission présidée par un représentant de l'Etat et composée, en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les artistes-interprètes et, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les producteurs de phonogrammes.
L'article L. 212-14 IV prend la peine de rappeler que cette "garantie de rémunération minimale (...) est proportionnelle à la valeur économique des droits dans les conditions prévues au II de l'article L. 212-3".
Ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 portant transposition du 6 de l'article 2 et des articles 17 à 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE. ↩︎
Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique. ↩︎
Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. ↩︎
Art. L. 212-13 du CPI. ↩︎
Ibid ↩︎
Art. L. 212-14 du CPI. ↩︎
Art. L. 212-15 du CPI. ↩︎
Art. L. 212-3-4 du CPI. ↩︎
Cet article dispose que "la garantie de rémunération minimale prévue au I est proportionnelle à la valeur économique des droits dans les conditions prévues au II de l'article L. 212-3. Elle peut toutefois aussi être fixée forfaitairement dans les cas prévus dans ce même article". ↩︎
A.E. Kahn, "La fixation de la rémunération des artistes-interprètes", Propriétés Intellectuelles, IRPI, n°80, juillet 2021. ↩︎
Un accord avait été signé par certains syndicats d'artistes-interprètes (SNAM-CGT, SFA-CGT, CGC, FO) et de producteurs phonographiques (SNEP et UPFI) le 7 juillet 2017, mais il avait ensuite été dénoncé par les syndicats d'artistes-interprètes. ↩︎