Le nouveau régime applicable aux fournisseurs d'un service de partage de contenus en ligne

Une ordonnance du 12 mai 2021 [1] a transposé en droit français le régime applicable aux services de partage de contenus en ligne instauré par la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique du 17 avril 2019[2].

Le code de la propriété intellectuelle définit le fournisseur d'un service de partage de contenus en ligne comme "la personne qui fournit un service de communication au public en ligne dont l'objectif principal ou l'un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public accès à une quantité importante d'œuvres ou d'autres objets protégés téléversés par ses utilisateurs, que le fournisseur de service organise et promeut en vue d'en tirer un profit, direct ou indirect"[3].

Il est précisé que "L'évaluation de la quantité importante d'œuvres et objets protégés mentionnée au premier alinéa tient compte notamment du nombre de fichiers de contenus protégés téléversés par les utilisateurs du service, du type d'œuvres téléversées et de l'audience du service."

Le nouveau système de responsabilité des fournisseurs d'un service de partage de contenus en ligne

Avant l'ordonnance du 12 mai 2021, les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne étaient soumis au régime de responsabilité des hébergeurs. Ce régime de responsabilité leur était très favorable dans la mesure où il excluait leur responsabilité en cas de diffusion d'un contenu sans autorisation dès lors que le fournisseur du service de partage n'avait pas connaissance de la violation et qu’il retirait les contenus non autorisés qui lui étaient notifiés.

Ce régime de responsabilité des hébergeurs est désormais remplacé[4] par un nouveau régime instauré par les articles L. 137-2 et L. 219-2 du CPI respectivement pour le droit d’auteur pour les droits voisins.

Selon ces nouveaux textes, le fait, pour le fournisseur d’un service de partage de contenus, de donner accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur (ou par un droit voisin) constitue un acte de représentation (s’agissant du droit d’auteur) ou d’exploitation (s’agissant des droits voisins) de ces œuvres, nécessitant qu’il obtienne les autorisations des titulaires de droits.

Le principe est désormais que le fournisseur d'un service de partage de contenus en ligne est responsable des actes d'exploitation non autorisés d'œuvres protégées par le droit d'auteur ou par un droit voisin[5].

Le fournisseur échappe toutefois à cette responsabilité s’il remplit certaines conditions :

  • Il a fourni ses meilleurs efforts pour obtenir une autorisation auprès des titulaires de droits qui souhaitent accorder cette autorisation ;
  • Il a fourni ses meilleurs efforts, conformément aux exigences élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l'indisponibilité d'œuvres spécifiques pour lesquelles les titulaires de droits lui ont fourni, de façon directe ou indirecte via un tiers qu'ils ont désigné, les informations pertinentes et nécessaires ; et
  • Il a en tout état de cause agi promptement, dès réception d'une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l'accès aux œuvres faisant l'objet de la notification ou pour les retirer de son service, et a fourni ses meilleurs efforts pour empêcher que ces œuvres soient téléversées dans le futur.

Il est précisé que le respect de ces conditions doit être apprécié en prenant en compte d’une part le type, l'audience et la taille du service, ainsi que le type d'œuvres téléversées par les utilisateurs du service, et d’autre part la disponibilité de moyens adaptés et efficaces ainsi que leur coût pour le fournisseur de service[6].

Ces conditions d’exclusion de la responsabilité sont assouplies pour les services de partage de contenus dont le chiffre d'affaires annuel est inférieur à dix millions d'euros, et ce pendant une durée de trois ans à compter de la mise à disposition du public du service au sein de l'Union européenne.

Pour ces entités, il n’est pas exigé que soient remplies d’une part la condition relative à l’obligation de fournir les meilleurs efforts pour garantir l'indisponibilité d'œuvres pour lesquelles les titulaires de droit ont fourni des informations pertinentes et nécessaires et d’autre part la condition relative à l’obligation de fournir les meilleurs efforts pour empêcher que les œuvres notifiées par les titulaires de droits soient téléversées dans le futur.

Les nouveaux textes ne mettent pas à la charge du fournisseur de services de partage de contenus d’obligation de surveillance du contenu téléversé. Il est ainsi prévu que « Le fournisseur d'un service de partage de contenus en ligne agit sur la seule base des informations pertinentes et nécessaires ou des notifications fournies, de façon directe ou indirecte via un tiers qu'ils ont désigné, par les titulaires de droits »[7].

L’obligation de transparence à l’égard des titulaires de droits

Lorsque que le titulaire de droit en fait la demande, le fournisseur de service de partage de contenus en ligne devra lui fournir « des informations pertinentes et précises sur le type et le fonctionnement des mesures » qu’il a prises pour bénéficier de l’exclusion de responsabilité[8].

Le texte prend la peine de préciser que cette obligation de transparence s’exerce dans le respect du secret des affaires du fournisseur. Des obligations de transparence plus détaillées peuvent être prévues par un contrat conclu entre le fournisseur et le titulaire de droits.

Par ailleurs, il est également prévu que les contrats autorisant l'utilisation d'œuvres par un fournisseur doivent prévoir la transmission par ce fournisseur au bénéfice des titulaires de droits d'auteur et de droits voisins d'une information sur l'utilisation de ces œuvres[9].

La préservation des droits des utilisateurs des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne

L’ordonnance du 12 mai 2021 comporte quelques dispositions relatives aux droits des utilisateurs. Il est ainsi rappelé que le nouveau régime mis en place par l’ordonnance ne peut « s'opposer au libre usage de l'œuvre dans les limites des droits prévus par le présent code, ainsi que de ceux accordés par les titulaires de droits »[10].

Pour assurer cette protection des droits des utilisateurs, les fournisseurs de services doivent mettre en place un dispositif de recours et de traitement des plaintes formées par les utilisateurs à l’encontre des mesures, notamment de blocage, prises par ce fournisseur pour prévenir les actes d’exploitation non autorisés d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou un droit voisin.


  1. Ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 portant transposition du 6 de l'article 2 et des articles 17 à 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE. ↩︎

  2. Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique. ↩︎

  3. Art. L. 137-1 du CPI. ↩︎

  4. L'article L. 137-2 II du CPI exclut expressément l'application du régime de responsabilité des hébergeurs. ↩︎

  5. Art. L. 137-2 III et L. 219-2 III du CPI. ↩︎

  6. Art. L. 137-2 III 2° et L. 219-2 III 2° du CPI. ↩︎

  7. Art. L. 137-2 III 4° et L. 219-2 III 4° du CPI. ↩︎

  8. Art. L. 137-3 I et L. 219-3 I du CPI. ↩︎

  9. Art. L. 137-3 II et L. 219-3 II du CPI. ↩︎

  10. Art. L. 137-4 I et L. 219-4 I du CPI. ↩︎