Le contrat d'enregistrement et de cession (contrat d'artiste)

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Contrat historiquement au cœur de la production phonographique, le contrat d'enregistrement et de cession, communément appelé contrat d'artiste, régit les relations entre l'artiste interprète principal et le producteur phonographique.

Le contrat d'enregistrement et de cession, conclu entre un producteur phonographique et un artiste-interprète (1), se caractérise par son double objet et sa double nature (2). Il attribue au producteur une exclusivité sur les enregistrements de l'artiste (3) qui percevra en contrpartie des rémunérations (4). Au-delà de l'exploitation classique des enregistrements dont il assure la promotion (6), le producteur se verra souvent confier les exploitations secondaires et dérivées (5).


1. Les parties au contrat d'enregistrement et de cession

Le contrat d'enregistrement est conclu entre un producteur phonographique et un artiste-interprète.

Le producteur phonographique est "la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence de son"[1].

En pratique, il s'agira de l'entité qui a réalisé l'enregistrement des interprétations de l'artiste en organisant des séances de studio et en procédant au mastering et au mixage de l'enregistrement, ou au moins de l'entité qui a financé l'enregistrement. Le producteur assume le risque financier de l'enregistrement.

Un artiste peut également être autoproduit, c'est à dire qu'il sera, souvent par l'intermédiaire d'une société lui appartenant, le producteur phonographique de ses interprétations. L'autoproduction est une tendance forte du fait de la plus grande accessibilité à du matériel d'enregistrement.

Dans le domaine musical, l'artiste interprète est la personne qui joue ou chante une oeuvre musicale [2].

Une distinction doit être faite entre les artistes-interprètes dits principaux et les artistes-interprètes d'accompagnement.

Un artiste interprète principal est un artiste dont l'absence rendrait impossible l'enregistrement. Les artistes principaux concluent en principe un contrat d'enregistrement exclusif avec un producteur phonographique [3].

Par opposition, un artiste d'accompagnement est un artiste dont l'absence ne rendrait pas impossible l'enregistrement. En matière musicale il s'agira typiquement d'un musicien ou d'un choriste participant à une ou plusieurs séances de studio.

Les artistes d'accompagnement concluent avec le producteur un contrat d'engagement non exclusif portant sur un nombre limité d'interprétations. A la différence des artistes interprètes principaux, les artistes d'accompagnement perçoivent généralement une rémunération forfaitaire en contrepartie de la cession de leurs droits, même si rien n'empêche de prévoir une rémunération proportionnelle [4].

Le présent article porte sur le contrat conclu entre un producteur phonographique et un artiste interprète principal.

2. Le double objet et la double nature du contrat d'enregistrement et de cession

Comme son nom l'indique, le contrat d'enregistrement et de cession a d'une part pour objet de prévoir l'enregistrement de l'interprétation par l'artiste d'une ou plusieurs oeuvres musicales, et d'autre part de prévoir la cession par l'artiste-interprète au producteur phonographique de ses droits sur son interprétation.

2.1. L'enregistrement

Le contrat a tout d'abord pour objet d'organiser l'enregistrement des interprétations de l'artistes.

Dans le cadre de l'enregistrement, le contrat unissant le producteur et l'artiste est un contrat de travail, le producteur étant l'employeur de l'artiste. Il s'agit plus particulièrement d'un contrat à durée déterminée d'usage régi par l'article L.1242-2 du code du travail.

En contrepartie de sa prestation, l'artiste percevra un cachet qui a la nature d'un salaire.

L'obligation de procéder aux enregistrements est une obligation mutuelle des parties, le producteur devant en principe organiser les séances d'enregistrement (location de studio, établissement d'un programme d'enregistrement le cas échéant, etc.) et l'artiste devant se rendre auxdites séances, étant rappelé qu'il est en principe lié par un lien de subordination au producteur.

Un budget d'enregistrement pourra être déterminé au sein du contrat. Le budget sera généralement fixé par single, EP ou album. Il reviendra en principe au producteur de gérer ce budget. Il peut toutefois arriver qu'un artiste interprète demande qu'une partie du budget lui soit directement attribuée dans le cas où il procède aux enregistrements dans son propre home studio.

Le contrat d'enregistrement prévoit généralement une clause dite "clause catalogue" qui a pour objet d'interdire à l'artiste de procéder ou de faire procéder par un tiers à un nouvel enregistrement des mêmes oeuvres musicales pendant un certain nombre d'années.

2.2. La cession des droits de l'artiste interprète

Le contrat a ensuite pour objet la cession par l'artiste-interprète au producteur des droits qu'il détient sur ses interprétations.

L'article L. 212-11 du CPI prévoit que chacun des droits cédés doit faire l'objet d'une mention distincte dans le contrat et que le domaine d'exploitation de ces droits doit être délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.

Un type d'exploitation qui n'est pas visé dans le contrat ne sera en principe pas cédé au producteur.

Du fait de cette règle, les clauses de cession de droits des contrats d'artiste sont généralement longues de façon à couvrir l'ensemble des exploitations possibles.

3. L'exclusivité du producteur

Bien qu'il ne s'agisse pas d'une obligation, la plupart des contrats d'enregistrement et de cession conclus avec des artistes principaux prévoient une exclusivité au bénéfice du producteur[5].

Le producteur bénéficiera alors, pendant une certaine durée prévue au contrat, du droit exclusif de produire les enregistrements des interprétations de l'artiste.

La durée de l'exclusivité du producteur correspondra souvent à une durée débutant à la signature du contrat et s'achevant un certain temps suivant la sortie commerciale d'un enregistrement, d'un album ou d'un EP (ex : durée de x mois suivant la sortie commerciale du dernier enregistrement prévu au contrat, ou x mois suivant la sortie commerciale du premier album de l'artiste, etc.).

En plus de la durée d'exclusivité "initiale", le contrat prévoit souvent au bénéfice du producteur une ou plusieurs options portant classiquement sur des albums supplémentaires de de l'artiste. Lorsque le producteur exerce son option, par exemple pour la production d'un autre album de l'artiste, cela a pour effet de prolonger la durée d'exclusivité dont il bénéficie qui s'achèvera alors x mois suivant la sortie commerciale de ce nouvel album.

Le contrat d'artiste peut prévoir un droit de préférence au profit du producteur qui jouera à l'issue de la durée d'exclusivité. L'artiste devra alors, pendant une certaine durée communiquer au producteur les offres de contrats d'artiste qu'il recevrait de tiers, le producteur pouvant alors se substituer à ce tiers à conditions égales.

4. La rémunération de l'artiste

L'artiste perçoit deux types de rémunération.

4.1. Le salaire d'enregistrement

Le producteur verse tout d'abord à l'artiste, en contrepartie de l'enregistrement de ses interprétations, un cachet qui a la nature d'un salaire.

Les règles de calcul du montant minimal de ce cachet d'enregistrement sont fixées au sein du titre II de l'annexe 3 de la Convention collective nationale de l'édition phonographique, qui est complétée par des accords annuels mettant à jour les montants.

4.2. Les redevances d'exploitation

En plus de son salaire d'enregistrement, l'artiste-interprète perçoit une rémunération en contrepartie de la cession de ses droits sur ses interprétations.

L'article L. 212-3 II du CPI prévoit que "La cession par l'artiste-interprète de ses droits sur sa prestation (...) doit comporter au profit de l'artiste-interprète une rémunération appropriée et proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle des droits cédés".

Sauf certaines exceptons limitativement énumérées à l'article L. 212-3 du CPI, la rémunération de l'artiste interprète principale est donc proportionnelle aux sommes issues de l'exploitation des enregistrements.

Cette rémunération proportionnelle prend la forme de redevances généralement définies par un taux s'appliquant à une assiette.

Pour le streaming, cette assiette est constituée des sommes perçues par le producteur des plateformes de streaming, ou des sommes qu'il perçoit de son licencié ou de son distributeur au titre de ces exploitations. Le système est comparable pour les ventes sous forme de téléchargements.

Un accord du 12 mai 2022, rendu obligatoire par un arrêté du 29 juin 2022, met un place une garantie de rémunération minimale au profit des artistes interprètes s'agissant du streaming. En application de cet accord, la rémunération de l'artiste principal est de :

  • 11 % (10 % hors période d'abattement) des sommes reversées au producteur par les plateformes de streaming ; ou
  • 13 % (11 % hors période d'abattement) des sommes nettes que le producteur encaissera au titre du streaming lorsqu'il ne distribue pas lui-même les enregistrements auprès des plateformes ; ou
  • 28 % des sommes nettes encaissées au titre du streaming par le producteur ayant un conclu un contrat de licence exclusive.

Pour la vente de supports physiques, l'assiette correspond généralement au prix de gros hors taxes, c'est à dire au prix auquel le producteur, ou le cas échant son licencié ou son distributeur, vend les supports physiques aux détaillants qui les commercialisent auprès du public.

Un certain nombre d'abattements sont généralement appliqués à la rémunération proportionnelle. Ces abattements peuvent par exemple être appliqués en période de campagne de promotion des enregistrements ou en cas de vente d'exemplaires à prix réduit.

De nombreux contrats d'enregistrement prévoient l'application de l'abattement dit « base BIEM » ou « base SNEP/SDRM » qui correspond à un abattement relatif aux rabais pratiqués auprès des détaillants, à la fabrication des pochettes et à l'exportation d'exemplaires. L'application de cet abattement revient à appliquer un coefficient de 0,792 au taux de rémunération prévu au contrat.

Enfin, certains contrats d'enregistrement prévoient un système de rémunération différent reposant sur un partage des bénéfices résultant de l'exploitation, souvent sur une base 50/50. Dans un tel système l'artiste percevra des redevances lorsque l'exploitation deviendra bénéficiaire.

4.3. Les avances sur redevances

Les contrats d'artiste peuvent prévoir le versement par le producteur à l'artiste d'une avance sur les redevances futures.

Il est souvent prévu le versement d'une avance par album ou par EP produit dans le cadre du contrat. Le montant de l'avance relatives aux albums ou EP successifs peut être fixé en fonction du succès commercial des précédents projets de l'artiste.

L'accord précité du 12 mai 2022 sur la garantie de rémunération minimale en matière de streaming prévoit le versement d'une avance d'un montant minimal de 1 000 € bruts par album, ou 500 € bruts lorsque le producteur est une très petite entreprise.

5. Les exploitations secondaires et dérivées des enregistrements

En plus de l'exploitation classique des enregistrements par leur commercialisation ou leur mise à disposition sous forme de supports physiques ou digitaux, le producteur pourra également se voir confier les exploitations secondaires et dérivées.

5.1. Les exploitations secondaires

Les exploitations secondaires désignent plusieurs formes d'exploitation, au premier rang desquelles figure la synchronisation, c'est à dire l'utilisation de l'enregistrement en fond sonore d'un programme audiovisuel (film cinématographique, série, documentaire, publicité, etc.).

L'utilisation sous forme de sample au sein d'un autre enregistrement et la sonorisation de spectacles peuvent également être classés parmi les utilisations secondaires.

Une rémunération spécifique est prévue au profit de l'artiste pour ces utilisations. Elle correspondra généralement à un pourcentage des sommes perçues par le producteur en contrepartie de ces utilisations secondaires.

5.2. Les exploitations dérivées

Les exploitations dérivées correspondent à des exploitations ne concernant pas en tant que tel l'enregistrement. Il s'agira de l'exploitation sous forme de merchandising et sous forme de partenariats et opérations évènementielles.

Ces exploitations dérivées ne sont pas nécessairement confiées au producteur à titre exclusif.

L'exploitation sous forme de merchandising correspond à la commercialisation de produits physiques ou digitaux pouvant reproduire des éléments de l'univers artistique de l'artiste (logo, titre d'album, programme de tournée, etc.) ou des attributs de sa personnalité (nom, photographies, etc.).

L'artiste percevra une rémunération correspondant généralement à un pourcentage des profits générés.

L'exploitation sous forme de partenariats (on parle en anglais d'endorsement) consiste à associer l'image de l'artiste à celle d'une marque. Les opérations évènementielles correspondent notamment à des concerts privés sans billetterie qui seront réalisés par l'artiste.

L'artiste sera rémunéré par un pourcentage des sommes encaissées par le producteur dans le cadre de ces partenariats ou évènements.

6. La promotion des enregistrements

Le producteur assure la promotion des enregistrements. Le contrat peut prévoir un budget qui sera consacré à la promotion.

La promotion se fera classiquement :

  • sous forme de campagne de publicité radiophonique, télévisée et sur internet, notamment sur les réseaux sociaux ;

  • par la participation de l'artiste à des émissions de radio, de télévision, ou désormais à des programmes diffusés sur des réseaux sociaux ou plateformes vidéos en ligne.

On peut également considérer que la réalisation de vidéoclips fait partie de la promotion des enregistrements. Il peut être prévu au contrat que le producteur réalisera un ou plusieurs vidéoclip par EP ou par album, ou qu'il consacrera tel budget à la réalisation de vidéoclips.


  1. art. L. 213-1 du CPI (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006279050) ↩︎

  2. art. L. 212-1 du CPI ↩︎

  3. L'annexe 3 de la Convention collective nationale de l'édition phonographique du 30 juin 2008 définit les artistes interprètes principaux comme "les artistes interprètes de la musique signataires d'un contrat d'exclusivité avec l'employeur ou ceux dont l'absence est de nature à rendre impossible l'ensemble de la fixation prévue par l'employeur". ↩︎

  4. Les règles de rémunération des artistes d'accompagnement pour la cession de leures droits sont fixées au sein du titre 3 de l'article 3 de la Convention collective nationale de l'édition phonographique. ↩︎

  5. L'exclusivité ne sera toutefois pas prévue dans certaines situations. Tel sera par exemple le cas lorsqu'un artiste et un producteur s'accordent pour faire un projet unique, strictement délimité. ↩︎

Alexandre Beaussier

Alexandre Beaussier