Dommages et intérêts en cas de rupture d'un contrat d'artiste par le producteur (Cass., soc., 15 septembre 2021, n°19-21.311)
En cas de rupture fautive du contrat d'artiste par le producteur avant sa date d'échéance, les dommages et intérêts accordés à l'artiste-interprète peuvent correspondre à la réparation du préjudice causé par la perte de chance de percevoir des redevances liées à l'exploitation des enregistrements non produits bien que ces redevances n'aient pas la nature d'un salaire.
1. Les faits
Un producteur (Universal Music France) avait conclu un contrat d'artiste avec un artiste-interprète, pour une durée minimale de 42 mois, par lequel ce dernier lui concédait l'exclusivité de la fixation de ses interprétations, de la reproduction sur tous supports, par tout procédé de la communication au public de ses enregistrements audio et/ou audio visuels d'oeuvres musicales pour le monde entier, et ce en vue de la réalisation de trois albums phonographiques.
Le producteur décida cependant de résilier prématurément ce contrat d'exclusivité après l'enregistrement du premier album.
L'artiste-interprète a alors réclamé une réparation au producteur devant le conseil des prud'hommes.
Le producteur a fait appel de la décision du CPH afin de contester les montants de dommages et intérêts attribués à l'artiste-interprète en première instance.
La cour d'appel de Paris (CA Paris, 29 mai 2019, n°16/10354) confirme le jugement du CPH en ce qu'il a condamné le producteur à verser 2.100 euros au titre des salaires pour les enregistrements et 24.000 euros au titre de l'avance sur les redevances des deux albums qu'il restait à produire selon le contrat, assimilés à des salaires. Elle confirme également la condamnation du producteur au versement de 30.000 euros en réparation du préjudice moral et d'image.
L'artiste-interprète demandait également des dommages et intérêts résultant de la perte de chance de percevoir des droits voisins consécutivement à la commercialisation et l'exploitation des deux albums non enregistrés.
Le demandeur se fondait sur l'article L. 1243-4 du code du travail qui traite de la question des dommages et intérêts attribués au salarié en cas de rupture du contrat à durée déterminée par l'employeur. Selon cet article :
"La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat".
Sur ce point, la cour d'appel rejette la demande de l'artiste en retenant que le préjudice réparable au sens de l'article L. 1243-4 du code du travail "ne peut être constitué que des rémunérations à caractère salarial qui lui auraient été versées jusqu'à l'échéance du contrat". Or les redevances liées à l'exploitation des deux albums non produits ne sont pas des salaires selon la règle fixée à l'article L. 7121-8 du code du travail.
La cour d'appel infirme donc le jugement du CPH qui avait condamné le producteur au paiement de la somme de 121.500 euros au titre de la perte de chance de percevoir des redevances liées à l'exploitation des deux albums non produits.
L'artiste-interprète a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
2. La problématique juridique
Dans cette affaire, la Cour de cassation devait donc décider si les dommages et intérêts attribués à l'artiste-interprète salarié en application de l'article L. 1243-4 du code du travail, en cas de rupture par le producteur (employeur) du contrat d'artiste à durée déterminée, peuvent correspondre à la perte de chance de percevoir des redevances liées à l'exploitation des albums non enregistrés, bien que ces redevances n'aient pas la nature d'un salaire.
3. La solution
La Cour de cassation casse l'arrêt de de la cour d'appel de Paris et donne donc raison à l'artiste-interprète en retenant "que l'article L. 1243-4 du code du travail, qui fixe seulement le montant minimum des dommages-intérêts dû au salarié, dont le contrat à durée déterminée a été rompu avant son terme de manière illicite, à un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, ne limite pas le préjudice dont il peut réclamer réparation aux seules rémunérations dont il aurait été privé, en sorte que ce dernier peut réclamer la réparation d'un préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente et à l'exploitation des albums non produits dès lors qu'il rapporte la preuve du caractère direct et certain de ce préjudice et que celui-ci constitue une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention".
L'artiste-interprète dont le contrat d'artiste a été rompu de façon illicite par le producteur peut ainsi demander, sur le fondement de l'article L. 1243-4 du code du travail, des dommages et intérêts au titre de la perte de chance de percevoir des redevances liées à l'exploitation d'albums qui devaient être produits.