L'utilisation d'une musique, non autorisée par ses auteurs, dans un clip publicitaire destiné à promouvoir une émission de télévision porte atteinte au droit moral des auteurs.
Les auteurs et éditeurs adhérents de la SACEM ont fait apport à cette dernière de l'action pour la défense de leurs droits patrimoniaux. Par conséquent, l'action de l'éditeur pour la défence de ces droits patrimoniaux est irrecevable, sauf carence avérée de la SACEM dans l'exercice de cette action.
1. Les faits
En 2016, l'émission de télévision The Voice Belgique a diffusé sur sa page facebook une bande annonce de l'émission d'une durée de 18 secondes en utilisant un titre d'un groupe de rock français[1].
La société Twicky Records, producteur et éditeur de cette chanson, a mis en demeure la société Endemolshine, producteur de l'émission The Voice Belgique, et la RTBF, chaîne publique de télévision belge diffusant l'émission The Voice Belgique, de cesser d'utiliser ce titre et de l'indemniser du fait de cette utilisation.
La société Twicky Records ainsi que les auteurs et compositeurs de la chanson litigieuse ont ensuite fait assigner la société Endemolshine et la RTBF.
Les auteurs invoquaient une violation de leur droit moral. Plus précisément, ils invoquaient en premier lieu une violation de leur droit à divulgation, en deuxième lieu une atteinte à l'oeuvre et en enfin une violation de leur droit de paternité[2]. Ils réclamaient respectivement des dommages et intérêts de 100.000 euros pour un d'entre eux et de 50.000 euros pour les trois autres.
De son côté, la société Twicky Records invoquait d'une part une violation des droits patrimoniaux que lui avaient cédés les auteurs de la chanson. Il faut noter que tant les auteurs que la société Twicky Records (l'éditeur) étaient adhérents de la SACEM. En tant qu'adhérents, ils avaient donc apporté à la SACEM, à titre exclusif, pour tous pays, le droit d’autoriser ou d’interdire l'exécution ou la représentation publique de leurs oeuvres ainsi que sa reproduction mécanique[3].
D'autre part la société Twicky Records invoquait une violation de ses droits en qualité de producteur de la chanson, c'est à dire de ses droits voisins[4].
Elle réclamait des dommages et intérêts d'un montant de 300.000 euros au titre de la violation de ses droits patrimoniaux et 700.000 euros au titre du manque à gagner résultant de l'utilisation de la chanson sans avoir conclu préalablement une licence de synchronisation pour les droits éditoriaux et les droits phonographiques.
2. Les problématiques juridiques
Deux questions posées à la cour d'appel dans cette affaire seront étudiées.
2.1 Problématique relative au droit moral des auteurs
Le fait pour une chaîne de télévision d'utiliser un extrait de chanson dans un clip promotionnel d'une émission sans l'autorisation préalable des auteurs et compositeurs de cette chanson est-il constitutif d'une violation du droit moral de ces derniers ?
2.2 Problématique relative aux droits patrimoniaux de l'éditeur
Un éditeur adhérent de la SACEM peut-il agir en défense des droits patrimoniaux qui lui ont été cédés par des auteurs également adhérents à la SACEM ?
3. Les solutions
A titre préliminaire, la cour d'appel considère que les demandes formulées à l'encontre de la société Endemolshine sont mal fondées dans la mesure où les demandeurs appelants n'établissent pas que cette société ait effectivement participé aux faits de contrefaçon invoqués. Au contraire, la RTBF a reconnu avoir seule réalisé et diffusé la bande annonce litigieuse.
3.1. Sur la question relative au droit moral des auteurs
La cour d'appel détaille sa réponse pour chaque composante du droit moral invoquée par les auteurs.
En premier lieu, la Cour d'appel considère qu'il n'y a pas de violation du droit de divulgation des auteurs. Cette solution s'imposait de façon évidente dans la mesure où le droit de divulgation de l'auteur, qui correspond à son droit de porter l'oeuvre à la connaissance du public, est épuisé lors de la première communication de l'oeuvre au public. Or, le titre litigieux avait été diffusé auprès du public dès 2014, les auteurs ne pouvant donc pas invoquer de violation de leur droit de divulgation.
En deuxième lieu, la cour d'appel s'intéresse à l'existence d'une éventuelle atteinte à l'oeuvre, c'est à dire à une violation du droit des auteurs au respect de leur oeuvre.
Les auteurs soutenaient "qu'ils n'auraient jamais donné l'autorisation d'utiliser un extrait de leur oeuvre pour promouvoir une émission dont la philosophie se trouve très éloignée de leurs convictions politiques et que l'utilisation de leur chanson heurte leur sensibilité".
En réponse, la RTBF indiquait qu'elle n'avait ni altéré, ni modifié l'oeuvre.
La cour d'appel juge que "la reproduction partielle, entendue en fond sonore, sur un message publicitaire qui n'avait pas pour seul objet de promouvoir l'oeuvre elle-même mais une émission sans lien avec elle et non autorisée par les auteurs, porte atteinte à leur droit moral d'auteur, dès lors que l'exploitation publicitaire n'était pas sa finalité artistique".
Par conséquent, la RTBF aurait dû s'assurer auprès des auteurs de leur accord pour l'utilisation de leur oeuvre à des fins d'autopromotion.
La cour d'appel rejette également l'argument de la RTBF qui prétendait qu'elle était autorisée à utiliser la chanson litigieuse en vertu du contrat qu'elle avait conclu avec la SABAM (la société de gestion collective belge des auteurs, compositeurs et éditeurs) qui lui aurait permis d'utiliser les oeuvres du répertoire de la SACEM. La cour relève d'une part que le droit moral des auteurs de la chanson litigieuse est incessible et note d'autre part que les stipulations du contrat conclu avec la SABAM ne permettaient pas d'utiliser cette chanson pour un clip publicitaire.
Enfin, la cour d'appel considère que la RTBF a violé le droit de paternité des auteurs en ne citant pas leur nom, ou à tout le moins le nom de leur groupe, sur la page facebook.
La Cour d'appel condamne par conséquent la RTBF à verser à chacun des auteurs une somme de 4.000 euros en réparation de ces violations.
3.2. Sur la question relative à la possibilité pour l'éditeur d'agir en défense de ses droits patrimoniaux
Sur ce point la cour d'appel juge que "les auteurs et la société Twicky Records en sa qualité d'éditeur ont fait apport du fait de leur adhésion à la SACEM de leurs droits d'autoriser ou d'interdire l'exécution ou la représentation publiques et la reproduction mécanique de l'oeuvre et l'action pour la défense des droits patrimoniaux générés par celles ci appartient à la SACEM et n'est ouverte au auteurs ou éditeurs qu'en cas de carence avérée de cette dernière."
Ainsi, tout en reconnaissant explicitement que la RTBF avait utilisé le titre litigieux sans autorisation, la cour d'appel juge que la société Twicky Records est irrecevable à agir en réparation de son préjudice du fait de cet usage non autorisé.
On peut légitimement se demander dans quel cas un éditeur ou un auteur pourrait considérer qu'il existe une carence avérée de la SACEM lui permettant d'agir en défense de ses droits. L'arrêt n'apporte pas de précision à ce sujet.
En revanche, s'agissant de la demande de la société Twicky Records fondée sur ses droits voisins en sa qualité de producteur, la cour d'appel juge que Twicky Records n'a pas cédé ses droits. Elle considère donc que son autorisation devait nécessairement être obtenue par la RTBF qui a synchronisé un extrait du titre sur un message d'autopromotion, en application de l'article L214-1 du CPI. La cour d'appel condamne la RTBF à verser à Twicky Records 10.000 euros pour cette utilisation non autorisée.
Il s'agissait du titre intitulé Badminton de l'album Joy Machine du groupe de rock français Astonvilla. ↩︎
Le droit de divulgation, le droit au respect de l'oeuvre et le droit de paternité sur l'oeuvre sont trois composantes du droit moral de l'auteur, la quatrième étant le droit de retrait, non concerné dans cette affaire. ↩︎
Voir article premier des statuts de la SACEM. ↩︎
Cet aspect de l'affaire ne fait pas l'objet d'une analyse au sein de cet article. Il sera simplement indiqué en fin d'article que la cour d'appel a condamné la RTBF au titre de cette demande de Twicky Records. ↩︎