Le producteur de phonogramme qui exploite un enregistrement sans avoir conclu de contrat d'artiste engage sa responsabilité envers l'artiste-interprète aux droits duquel il a porté atteinte.
En cas d'absence totale de reddition des comptes par l'éditeur musical, le contrat d'édition est résilié.
1. Les faits
Les deux membres d'un groupe de musique français, auteurs, compositeurs et interprètes de trois albums sortis en 1979, 1982 et 1984[1] ont assigné les sociétés intervenues à la fois en tant que producteurs phonographiques et éditeurs musicaux pour ces albums afin d'obtenir d'une part des dommages et intérêts du fait d'une atteinte à leurs droits d'artistes-interprètes et d'autre part la résiliation du contrat d'édition du fait de l'inexécution par ces sociétés de leurs obligations à ce titre.
En premier lieu, les demandeurs reprochaient aux sociétés défenderesses, en leur qualité de producteurs de phonogramme, d'avoir porté atteinte à leurs droits d'artistes-interprètes s'agissant des trois albums précités. Les demandeurs se fondaient sur le fait qu'ils n'avaient pas signé de contrat d'enregistrement justifiant de leur autorisation pour la fixation, la reproduction et la communication au public de leur interprétation et fixant les conditions d'exploitation et de rémunération. A ce titre, ils demandaient l'attribution de dommages et intérêts.
Les défendeurs prétendaient notamment en défense que ces deux artistes-interprètes n'avaient pas souhaité régulariser par voie contractuelle les enregistrements.
En second lieu, il était reproché aux sociétés défenderesses d'avoir manqué à la totalité de leurs obligations d'éditeurs musicaux. Parmi les reproches formulés[2], les auteurs invoquaient un manquement de ces sociétés à leur obligation de reddition des comptes, prévue à l'article L. 132-13 du CPI.
2. Les problématiques juridiques
Permière question : un producteur de phonogramme commet-il une faute susceptible d'engager sa responsabilité en ne concluant pas avec un artiste-interprète un contrat d'artiste pour l'exploitation d'albums enregistrés antérieurement à la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 ayant instauré les droits voisins des artistes-interprètes ?
Seconde question : le manquement d'un éditeur musical à son obligation de reddtion des comptes, à le considérer établi, justifie-t-il la résiliation du contrat d'édition et de cession conclu avec l'auteur ?
3. Les solutions
3.1. Sur la première question
La cour d'appel de Paris rappelle que l'article L. 212-3 du CPI issu de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 créant des droits voisins au profit des artistes-interprètes est applicable à compter du 1er janvier 1986, y compris aux enregistrements réalisés antérieurement, tels les enregistrements litigieux réalisés en 1979, 1982 et 1984.
Par conséquent, un producteur de phonogramme ayant produit un album antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985 avait l'obligation de faire signer à l'artiste-interprète un contrat afin de recueillir son autorisation écrite pour la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public conformément à l'article L. 212-3 du CPI.
La cour relève que les deux sociétés de production phonographique ne sont pas en mesure de produire le moindre contrat d'artiste-interprète pour les
enregistrements des trois albums.
Il en résulte que les deux artistes-interprètes sont restés dans l'ignorance de l'étendue (durée, lieu, supports) des cessions consenties sur leurs droits d'artiste-interprète comme du montant et des modalités de la rémunération devant leur être versée en contrepartie de ces cessions.
Par conséquent, la cour juge que les producteurs phonographiques ont porté atteinte aux droits d'artiste-interprète des demandeurs dans la mesure où ils ont fixé leurs prestations, les ont reproduites et les ont communiquées au public sans avoir recueilli leur autorisation écrite.
Toutefois, la cour d'appel considère que les artistes-interprètes n'apportent pas la preuve du préjudice invoqué et confirme le jugement de première instance ayant attribué respectivement 1.000 et 2.000 euros de dommages et intérêts aux deux demandeurs.
3.2. Sur la seconde question
En premier lieu, la cour d'appel confirme le jugement de première instance en ce qu'il a "exactement constaté que les éditeurs avaient (...) gravement manqué à l'obligation de reddition des comptes, et de paiement des redevances correspondantes, qui leur est imposée par les dispositions de l'article L132-13 du code de la propriété intellectuelle et à laquelle ils se sont, en l'espèce, purement et simplement soustraits en dépit de demandes répétées de Mmes M., en particulier à compter de 2012".
En second lieu, s'agissant de la sanction de ce manquement, la cour d'appel juge que "ce manquement à une obligation essentielle de l'éditeur qui porte sur 4 albums et au total sur 31 oeuvres et s'est poursuivi durant plus de 35 ans présente une gravité telle qu'elle justifie que soit prononcée, par confirmation du jugement entrepris, la résiliation des contrats de cession et d'édition musicale et de cession du droit d'adaptation audiovisuelle".
Cette sanction de la résiliation du contrat d'édition s'explique sans doute en l'espèce par l'absence totale de reddition des comptes" et par la durée de ce manquement.
Cette sanction stricte est en phase avec le code des usages et bonnes pratiques de l'édition musicale de 2017 dont'article 5.1.1 prévoit que l'auteur peut résilier de plein droit le contrat d'édition dans le cas où sa demande de reddition des comptes est restée sans réponse de l'éditeur dans un délai de trois mois.
Il s'agit de Mme. Elli Medeiros et de l'héritière de M. Denis Quilliard qui formaient le groupe Elli & Jacno. ↩︎
Les demandeurs prétendaient également que les éditeurs avaient manqué (i) à leur obligation de fabriquer ou de faire fabriquer l'oeuvre en nombre (art. L 132-2 du CPI), et (ii) à leur obligation d'assurer à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale conformément aux usages de la profession (art. L. 132-12 du CPI). ↩︎